Salut 👋
Comme promis, voilà la transcription de l’épisode 84 de Passerelles. Mon invitée s'appelle Detchen. Elle a grandi en France, avec un père français et une mère tibétaine. Dans la vie, après avoir fait des études de droit, elle s’est reconvertie dans l’enseignement du français. Sur Instagram, elle parle de livres. Elle mêle lecture et apprentissage du français dans ses vidéos. N’hésite pas à partager tes réflexions et à poser tes questions dans les commentaires !
Pour en savoir plus sur Detchen, tu peux consulter son site internet : detchenfrenchteacher.com Tu peux également la retrouver sur Instagram.
Bon week-end,
Emilie
Bienvenue dans Passerelles, un podcast pensé pour éveiller la curiosité des apprenantes et des apprenants de français. Je m’appelle Emilie et cette semaine, comme d’habitude, je vous invite à prendre quelques minutes pour qu’on réfléchisse ensemble à une question. Dans chaque épisode, j’essaye de vous proposer des sujets différents à explorer. Mon but, c'est juste de partager avec vous quelques pistes de réflexion et de vous encourager à vous poser des questions, en français. Aujourd’hui, je vous retrouve avec une conversation. Parfois, les algorithmes des réseaux sociaux visent juste. Ils nous font découvrir des univers fantastiques. Ils créent de jolies rencontres. La voix que vous allez entendre, c’est celle de Detchen.
Plus quelque chose nous intéresse, plus on est motivé. Et donc, en fait, c'est pareil en matière d'apprentissage des langues. Les langues, c'est hyper vaste. On peut parler de ce qu'on veut. Et justement, parler de ce qui nous intéresse, c'est comme ça, pour moi, qu'on peut progresser.
Avant de continuer, une information importante : la transcription de cette conversation est disponible gratuitement. Le lien pour y accéder se trouve dans la description de cet épisode. Un jour, alors que je scrollais sur Instagram, alors que je faisais défiler les publications sur mon portable, je suis tombée sur le compte de Detchen. Elle enseigne le français. Elle parle de livres. Et j’ai tout de suite aimé la manière dont elle mêle lecture et apprentissage du français. Mêler, ça veut dire mélanger. Elle publie des vidéos courtes dans lesquelles elle s’exprime lentement et clairement. Dans ces vidéos, elle nous parle de ses lectures. Et elle nous explique aussi des expressions utilisées en français. Si vous appréciez la lecture, et je sais que vous êtes nombreux et nombreuses à aimer parler de ce sujet, je vous encourage à découvrir son univers. Dans la description de cet épisode, vous trouverez aussi un lien vers son compte Instagram. Detchen a grandi en France, avec un père français et une mère tibétaine.
[02:46] Dans l’épisode de cette semaine, la question qu’on va se poser, c’est la suivante : Comment on se construit entre deux cultures, entre plusieurs cultures ? Avec Detchen, on a parlé de reconversion professionnelle. Puisqu’avant d’enseigner le français, elle a étudié le droit. Elle nous raconte ensuite son rapport à sa double culture, entre la France et le Tibet, et comment il a évolué au fil du temps. Et pour finir, elle partage avec nous un de ses coups de cœur littéraires de l’été.
J’ai demandé à Detchen de s’exprimer naturellement, comme elle le fait dans la vie de tous les jours. Le but de ces épisodes “conversations”, c’est de vous exposer à un français aussi authentique que possible, donc un peu plus rapide. Travailler sur la compréhension orale, c’est avant tout chercher à comprendre le message principal. Dans un premier temps, le but, c’est pas de comprendre chaque mot. Une compréhension plus approfondie, prêter attention aux spécificités à l’oral, ça passe par la lecture de la transcription. Alors, j’insiste sur l’importance d’utiliser cet outil, après avoir écouté l’épisode une première fois. Mais revenons à Detchen, elle a grandi dans le sud-ouest de la France, dans une région qui s’appelle la Dordogne. Donc, pas très très loin de chez moi. La Dordogne, c’est un lieu qui est connu pour la préhistoire. On y trouve un endroit dont vous avez peut-être déjà entendu parler : les Grottes de Lascaux. Une grotte, c’est une cavité naturelle qui est creusée dans un rocher ou une montagne. La Dordogne, c’est un lieu très beau avec des forêts, des petites collines. C’est parfait pour celles et ceux qui aiment la nature.
[05:05] Au moment de notre conversation, Detchen était de passage chez ses parents. D’abord, elle nous dit quelques mots sur la pièce où elle se trouve : sa chambre d’adolescente.
Donc là, en ce moment, je suis dans ma chambre d'adolescente. Je suis en visite en Dordogne là, pour quelques jours, non quelques semaines. Et donc, quand je rentre chez moi, chez mes parents, je dors dans ma chambre d'adolescente qui est restée presque intacte. Et donc, je retrouve un peu voilà mon quotidien de... Comment dire ? Mon environnement d'adolescente. Donc par exemple, j'ai un grand poster d'un tableau de Monet. Donc, c'est pas une peinture, c'est un poster. Donc, c'est “Les coquelicots”. Et après, surtout, j'ai beaucoup de livres dans ma chambre. Donc ça, c'est vraiment... J'ai tous mes livres en fait, tous mes romans que je lisais depuis l'enfance en fait, puisqu'on a gardé presque tous mes livres. On en a donné un peu mais... Je lis depuis que j'ai 7 ans. Donc, j'ai ce que je lisais à l'école primaire, puis après au collège, après au lycée.
Comme Detchen, vous avez peut-être gardé les livres que vous lisiez à l’école primaire, au collège ou au lycée. Dans un podcast que j’écoute depuis la rentrée, un podcast qui s’appelle Le Book Club et qui est diffusé sur France Culture, la journaliste commence chaque entretien avec la question suivante : est-ce que vous vous souvenez d’avoir appris à lire ? Je vous invite à répondre à cette question, et à réfléchir aux lectures qui ont marqué votre enfance ou votre adolescence. On laisse le sujet de la lecture de côté, mais on y reviendra un peu plus tard.
[06:68] Quand elle était petite, le rêve de Detchen, c’était de devenir écrivaine. Quand on lui parlait d’autres métiers, elle voulait devenir prof, prof de français ou prof d’histoire. Mais à l’époque, son expérience d’élève au collège et au lycée ne lui donnait pas très envie de travailler dans l’Éducation Nationale. Pourtant, l’idée d’enseigner lui plaisait déjà beaucoup. Finalement, elle est allée vers autre chose. Dans l’extrait que vous allez écouter, Detchen nous raconte son parcours. Elle nous parle de ce qu’elle a aimé dans ses études de droit, des difficultés du métier d’avocat, et de ce qui l’a poussée à changer de voie.
Quand j'étais petite, je me souviens que mon frère, mon petit frère qui a sept ans de moins que moi, est allé à l'école plus tard. Et donc, quand il était petit, vraiment quand il avait trois-quatre ans ou quatre-cinq ans, je sais plus, il me raconte que, encore aujourd'hui, il se souvient que je voulais absolument lui apprendre l'alphabet, comment lire. Et donc, l'enseignement je pense que c'est quelque chose que j'avais depuis que j'étais petite, mais que j'ai... bon, je dirais pas refoulé. Mais voilà, je suis partie dans autre chose. Mes parents m'ont toujours encouragée vraiment à faire ce que je voulais. Eux-mêmes sont pas mal dans l'idée de vraiment consacrer sa vie à ce qui nous plaît. Tu parlais un peu de tout ce qui était métier-passion et tout ça. Donc, c'est un sujet... enfin, mes parents m'ont toujours encouragée à faire ça. Mais comme je savais pas exactement exactement ce que je voulais faire, que j'étais intéressée par l'histoire, la géopolitique, etc, je m'étais dit : ben je vais faire des études de droit. Et donc, ça m'a beaucoup plu. Je trouvais que intellectuellement c'était génial. Enfin, c'était hyper stimulant. J'ai appris plein de choses parce que, en fait, en fac de droit, on apprend pas que le droit. Enfin, en tout cas, moi à mon époque. Les premières années, c'est très très pluridisciplinaire. Donc, on a de la socio, on a de l'histoire, on a plein de choses. Donc ça, ça m'avait vraiment beaucoup plu. Et même quand on allait vraiment plus vers du droit pur, ça me plaisait bien en fait, intellectuellement. Mais je me voyais pas du tout faire une thèse ou continuer dans la recherche. Et du coup, je m'étais dit : bah faut bien que je fasse quelque chose. Donc, j'ai passé l'examen pour entrer à l'école, ce qu'on appelle l'École du Barreau de Paris. Et du coup, bah voilà, je m'étais dit : peut-être que je peux essayer d'être avocate, on va voir ce que ça va donner. J'avais eu des échos déjà un peu négatifs. Donc, je pense que j'avais déjà un a priori un peu négatif quand même. Mais, je m'étais dit : bon allez, faut essayer. Et donc, quand j'ai travaillé, quand on fait ces stages, déjà on travaille dans pas mal de domaines différents. On en fait aussi en entreprise. Et puis moi, du coup, quand j'ai fait mon dernier stage, j'étais en cabinet d'avocats. Et donc, l'avocate qui était ma maître de stage m'avait proposé de continuer avec elle. Et donc, en fait, c'est ce que je dis aussi à propos de mes études, c'est que intellectuellement c'est hyper stimulant. Mais là, avec ce travail-là, c'est quand même... c'est très très exigeant. Beaucoup de pression. Une pression qu'on se met soi-même, d'ailleurs, je pense. Enfin, il y a ce côté, quand tu es en droit, où il faut que tout soit parfait. Parce que sinon bon, déjà, tu engages ta responsabilité, mais tu mets aussi ton client en difficulté. Voilà, en tout cas, je me mettais beaucoup de pression pour un truc où, au final, je me sentais aussi pas non plus 100% alignée dans mes valeurs. Je pense que j'ai toujours été plus dans la transmission, l'échange et pas vraiment dans le conflit. Bon évidemment, c'est le métier de l'avocat. C'est vrai que surtout, comme je faisais de la procédure, tu es beaucoup dans le conflit. C'est le métier. Il y a rien de grave à ça. Mais c'est vrai que ça correspondait pas vraiment à mon métier idéal au final. Et donc, du coup, quand j'ai commencé à penser à la reconversion et que j'ai parlé aussi avec des copines qui s'étaient reconverties, en fait j'ai commencé à explorer d'autres pistes. Et donc, j'avais une très bonne copine qui était devenue prof de français et qui m'en parlait. Donc voilà, c'est quelque chose qui a commencé un peu à grandir dans... qui a commencé à mûrir. Et en fait, j'avais aussi moi-même... je m'étais engagée plusieurs fois dans des associations d'alphabétisation et de FLE. J'ai beaucoup fait d'échanges linguistiques quand j'apprenais le tibétain, quand j'apprenais le chinois. Donc voilà, c'est quelque chose qui m'a toujours plu. Et donc, du coup, je m'étais dit : bah en fait, c'est peut-être ça, faut tester quoi. Et c'est comme ça que je suis devenue prof de français.
En écoutant Detchen, je reconnais des éléments de mon propre parcours. Toutes les deux, on s’est reconverties. Se reconvertir, ça veut dire changer de carrière. Avant de devenir prof, j’étais médiatrice culturelle. À notre époque, il y a plein de diplômes à distance. Toutes les deux, on s’est formées à distance, en parallèle du boulot.
[11:59] Avec Detchen, on a ensuite discuté de l’environnement dans lequel elle s’est construite. Elle a grandi en France, avec un père français et une mère tibétaine. Elle revient maintenant sur comment elle a vécu ça, de grandir entre deux cultures, en évoquant notamment son expérience sur le plan linguistique.
Déjà, je pense que ça dépend beaucoup du contexte et des parents que tu as, des langues qui te sont enseignées. Donc moi, du coup, effectivement mon père est Français et ma mère est Tibétaine. Et donc, mes parents, dès qu'on est nés, bon je suis l'aînée et j'ai deux frères et sœurs. Et donc, dès que je suis née, [mes parents] ont pris la décision de nous parler dans leur langue respective. C'est-à-dire que mon père nous parlait toujours en français et ma mère toujours en tibétain. Alors évidemment, notre langue commune dans la famille, c'était quand même le français, puisque ma mère parle français. Donc, quand il y a des conversations de famille à table, etc, c'est quand même le français qui est dominant. Mais voilà, il y avait cette volonté vraiment, depuis le début, de donner cette éducation vraiment bilingue. Et la chance qu'on avait avec mes frères et sœurs, c'était d'avoir un environnement tibétanophone assez large. Parce qu'en fait, la famille du côté de ma mère habite juste à côté de chez mes parents. Et donc, on avait notre grand-mère, nos grands-tantes, nos grands-oncles, ma tante, etc. Donc, il y avait un peu cet environnement familial, ce mini environnement tibétanophone. Ce qui fait que mes frères et sœurs et moi, on parle tibétain depuis qu'on est petits. Mais voilà, ça reste quand même dans un cercle assez familial. Donc, notre vocabulaire est quand même limité au cercle familial, les repas, etc. Ça, c'était au niveau linguistique. Et puis après, à l'extérieur... On va dire qu'à l'intérieur, c'était quand même un milieu plutôt majoritairement tibétain, paradoxalement, alors qu'on était en France. Parce que, du coup, la famille de ma mère était très présente. Et donc, c'est quelque chose avec lequel on a grandi. Et donc, mis à l'extérieur, c'était évidemment très différent. Parce que... bon, on était dans un environnement exclusivement francophone. Alors, je pense qu'on a vraiment une grande chance, c'est que, en tant que... enfin, je sais pas comment dire, mais en tant que Tibétain en partie, c'est qu'en fait les Tibétains bénéficient quand même d'une image positive en France. Je pense que ça, c'est vraiment une grosse différence aussi par rapport à d'autres... peut-être d'autres enfants, comme ça, mixtes. En fait, il y avait... comment dire ? C'est quelque chose... je pense que quand tu parles une autre langue à la maison, que c'est une langue rare, une langue minoritaire de manière générale, tu as ce côté un peu : c'est pas très cool quoi. Enfin moi, j'ai vraiment grandi avec ce sentiment que, à l'extérieur, c'était rien de très cool. Enfin, c'était pas... l'anglais, c'est cool, mais les autres langues, c'est pas spécifiquement quelque chose dont tu te vantes ou dont tu es fier en fait, quand tu vas dans la société. Mais au moins, on avait cet avantage-là, tu vois, que les Tibétains n'aient pas une mauvaise image en fait en France. Je pense que c'est important parce que, du coup, quand tu as un peu la société qui est de base discriminante, et du coup qui déjà projette une image négative sur tes origines, ça joue quand même. Donc voilà, le résultat, c'est que du coup on parlait quand même à la maison, il y avait ce côté vraiment multiculturel, enfin biculturel en tout cas très très présent à la maison. À l'extérieur, c'était pas quelque chose dont je parlais particulièrement, enfin dont j'étais particulièrement fière. C'était plutôt neutre. Et voilà, je trouvais qu'il y avait rien de particulièrement spécial. Bon aujourd'hui, avec du recul, c'est plus du tout ce que je pense mais... Et donc, j'ai vraiment attendu beaucoup plus tard pour... je pense plutôt à 19-20 ans, pour vraiment m'intéresser sincèrement à mon côté tibétain. Je pense que je me suis intéressée à beaucoup d'autres cultures, avant de m'intéresser à ma propre culture. C'est ça qui est marrant.
Quand la société est discriminante, et donc qu’on projette une image négative sur les origines d’une personne, ça joue quand même son expérience. Je répète cette phrase parce que c’est important de se questionner sur cette idée de perception, je trouve.
[16:40] Pour Detchen, son rapport à sa double culture, il a évolué au fil du temps. À partir de 19-20 ans, elle a vraiment commencé à s'intéresser au Tibet, à la langue tibétaine, à la culture. Pendant son adolescence, maintenir cet héritage culturel et linguistique, elle vivait ça comme une corvée. Une corvée, c’est une tâche désagréable, quelque chose qu’on nous impose. S’exprimer comme elle voulait en tibétain, c’était difficile pour elle. Mais vers 19-20 ans, quelque chose a changé. Elle réfléchit aux origines de ce changement, à ce qui l’a menée à s’intéresser à sa propre culture et à partir pour devenir étudiante à l'université du Tibet, à Lhassa.
Je sais pas d'ailleurs pourquoi. C'est marrant. Enfin, je pense que ça doit être différent chez tous les enfants, chez tous les gens. Et c'est là où j'ai commencé du coup... c'est peut-être en arrivant à Paris, peut-être, tu vois. Je me dis peut-être en arrivant à Paris où, pour le coup, c'est quand même plus divers que dans la campagne. Peut-être, je sais pas. Et du coup, j'ai commencé à m'intéresser à d'autres langues, d'autres cultures. Et du coup, j'ai fini par me dire : ah bah finalement peut-être que ma propre culture est intéressante. Et donc voilà, c'est là en fait où, petit à petit, je m'étais dit : j'ai envie d'autre chose en dehors du droit. Je prenais d'ailleurs des cours à l'INALCO. Je prenais des cours de coréen en dehors de la fac de droit. Parce que je voulais faire autre chose en plus. Voilà, quand je te parlais d'[être] intéressée par d'autres langues, d'autres cultures. Puis après, je me suis dit : ouais mais pourquoi pas m'intéresser à ma propre langue, à ma propre culture ? Et comme je savais que... en fait, en terminant mes études de droit, j'ai passé donc l'examen d'entrée à l'École du Barreau. Et ce qui est absolument génial, c'est que tu peux repousser l'entrée. Je savais même pas que ça existait. Mais donc, tu peux repousser l'entrée et tu peux décider de commencer l'école quand tu veux. Et du coup, je me dis : mais c'est le moment parfait, parce que c'est vraiment un moment où je peux prendre du temps pour moi. Et je m'étais dit : bah j'ai envie de partir au Tibet. Et en fait, c'est marrant parce que ma mère, ma tante sont jamais allées au Tibet. Donc, c'est vraiment la génération de mes grands-parents, mes grands-parents et mes arrières grands-parents maternels [qui sont venus vivre en France]. Et je vivais un peu dans cette idée de... bah, qu'est-ce que ça pouvait bien être ? Et surtout, qu'est-ce que ça pouvait faire de... c'est marrant hein... qu'est-ce que ça pouvait faire de vivre dans un environnement tibétanophone ? C'est quelque chose qui me fascinait en fait. Et donc, c'est comme ça que j'ai postulé, comme ça un peu sans vraiment y croire. J'ai postulé pour devenir étudiante à l'université du Tibet, à Lhassa. Et donc, ils ont un cursus pour les étudiants étrangers où tu apprends le tibétain, la langue et la culture. Et donc, j'ai été prise. Et donc, je suis partie. Donc, à la base, c'était censé être... bah je crois que j'avais postulé pour un an. Et je m'étais dit : on va voir comment ça se passe, peut-être que je vais même pas faire les un an, je sais pas. Et au final, je suis partie deux ans. Et donc, c'était vraiment une expérience personnelle qui m'a... je pense qui m'a vraiment énormément énormément marquée. J'ai rencontré mon mari là-bas aussi qui était comme moi, qui du coup est venu d'Europe pour pouvoir suivre ces cours, pour pareil renouer avec le Tibet, etc. Et je pense que c'est une expérience qui m'a vraiment vraiment marquée. J'étais à la fois... quand on parle vraiment du point de vue identitaire, culturel, c'était marrant parce que les gens me voyaient vraiment comme une étrangère, physiquement. En fait, physiquement déjà parce que, pour eux, j'ai vraiment une tête d'occidentale. Et quand je parle aussi, j'ai un accent parce que je parle pas exactement le même dialecte. J'ai passé beaucoup de temps à l'étranger, donc notre tibétain a changé aussi. Et donc, je me sentais quand même assez étrangère quoi au Tibet. Alors qu'en fait, en France, physiquement, en fait les gens remarquent pas forcément que... Donc ça, c'est peut-être une chance aussi, je sais pas, mais enfin je pense que c'est une chance. Si je ne dis pas de quelle origine je suis, les gens ne voient pas forcément. Ça dépend des gens. Il y a des gens qui voient que j'ai des origines asiatiques, d'autres qui voient pas.
Ce qu’elle raconte, sur le fait d’être perçu comme un étranger, c’est une expérience commune pour beaucoup d’enfants nés d’un couple mixte. On parle de couple mixte quand les deux personnes ont des origines différentes. Pour rester sur ce sujet, Detchen nous parle du choix de ses parents de lui donner un prénom français. Un prénom qu’elle utilise pas au quotidien, puisqu’elle utilise son prénom tibétain. Son séjour au Tibet lui a permis de beaucoup progresser dans cette langue et lui a ouvert l'esprit sur toute une culture qu’elle ne connaissait pas.
Et d'ailleurs, petite parenthèse, ce qui est intéressant c'est que mon prénom, là, c'est Detchen. En fait, c'est mon deuxième prénom. Mon premier prénom, c'est Bénédicte. Et mes parents ont tenu absolument à nous donner des prénoms français, et que ce prénom soit vraiment le premier sur l'état civil, pour que les gens aient vraiment l'impression qu'on soit français. Enfin, français, qu'on ne soit vraiment pas mixtes quoi, enfin qu'ils voient pas qu'on... Et parce qu'ils avaient peur en fait qu'on soit discriminés, etc. Donc, ils voulaient dès le début qu'on ait un prénom français. Mais en fait, au final, on s'en est jamais vraiment servi. Enfin moi, je me suis toujours fait appeler Detchen et d'ailleurs c'est quelque chose... Quand j'ai commencé à être prof en ligne, je me suis demandé, je me suis dit : est-ce que je devrais m'appeler Bénédicte ou est-ce que je devrais m'appeler Detchen ? Et j'ai pas mal réfléchi. Au final, j'ai choisi Detchen parce que c'est vraiment le prénom que j'utilise tout le temps donc... Et donc, je suis contente de l'avoir fait et de pas être... Et tu vois, j'ai même revendiqué le fait d'être mixte, etc. Mais c'était quelque chose qui était pas forcément évident... Bref. Et donc, pour revenir à la question du Tibet, c'était à la fois un peu étrange parce que je me sentais vraiment en décalage, comme un peu parfois je me sens en décalage en France aussi culturellement mais… Mais enfin, c'était génial parce que le fait de pouvoir enfin réussir à parler. Enfin, du coup, j'ai beaucoup beaucoup progressé en tibétain, enfin surtout à l'oral en fait. L'écrit est vraiment très très difficile. Donc, j'ai eu du mal à progresser. Mais à l'oral, ça m'a... voilà, maintenant, aujourd'hui, j'arrive vraiment à parler, à vraiment exprimer mes opinions, mes émotions, à part si on commence à parler de sujets vraiment spécialisés. Mais j'ai quand même, c'est marrant, j'ai toujours un peu ce... je pense que maintenant j'arrive vraiment à parler couramment, mais j'ai cet espèce de blocage souvent quand je suis avec des Tibétains. J'ai toujours peur de pas bien parler. J'ai toujours peur de faire des erreurs, etc. Donc, je me sens encore, toujours, pas 100% à l'aise vraiment “avec mon tibétain”, entre guillemets, enfin le tibétain que je parle. Mais voilà, c'était vraiment le fait de pouvoir vraiment progresser en tibétain, d'être en contact avec plein de Tibétains. J'ai découvert plein d'éléments culturels aussi de la culture tibétaine que je connaissais pas du tout. Parce que quand tu vis dans un... tu es Tibétain bien sûr parce que un de tes parents est Tibétain par exemple. Mais une culture, ça se résume pas à une famille. Chaque famille aussi à son mode de fonctionnement, sa vision de la culture. Et donc là, ça m'a vraiment ouvert l'esprit sur toute une culture que je connaissais pas du tout en fait ou très peu, enfin... ou je connaissais qu'une partie. Et bon, je suis contente de la connaître. Mais voilà, tout à coup, ça m'a ouvert un champ. Et depuis, ça me passionne. Et du coup, j'ai un rapport qui est culturellement très différent au Tibet.
On passe à un tout autre sujet. Detchen est passionnée de lecture. Quand elle a changé de voie, elle est devenue prof de français en ligne, à son compte. Travailler à son compte, ça signifie travailler de façon indépendante. Et elle a voulu trouver un moyen de combiner les deux, enseignement du français et lecture. C’est pour ça qu’elle a ouvert un compte Instagram sur lequel elle parle en français, assez lentement, de ses lectures. L’idée, c’était de proposer des ressources accessibles, autour de ce sujet, aux personnes qui apprennent le français. D’ailleurs, dans ma newsletter de septembre, j’ai partagé quelques extraits supplémentaires de mon échange avec Detchen, où elle parle, entre autres, de son approche de la lecture comme sujet de conversation pour progresser en français.
[25:33] Je lui ai donc demandé de partager un de ses coups de cœur littéraires avec nous. Elle nous raconte l’histoire de La prophétie des Sœurs-serpents, un roman de l’autrice martiniquaise Isis Labeau-Caberia.
Mon dernier coup de cœur, en tout cas un gros coup de cœur de cet été, ça s'appelle La prophétie des Sœurs-serpents. Donc, c'est un roman francophone. Ça a été écrit par une Martiniquaise. Et j'avais donc... pareil, la magie de bookstagram et de booktube, c'était pas mal sur les réseaux sociaux. Donc, parfois on a des bonnes et des mauvaises surprises. Mais là, j'avais un bon feeling, pour utiliser un mot anglais. J'avais vraiment l'impression que ça pourrait être pas mal. Et donc, en fait, l'autrice est très jeune. Je crois qu'elle a... enfin, elle est très jeune, elle a une trentaine d'années. Et je crois que c'est son premier roman. Et donc, elle est... je me souviens plus, je crois qu'elle est historienne ou sociologue de formation. Donc, elle est pas mal dans les sciences sociales. Et donc, elle a écrit ce bouquin. C'est de la fiction et c'est adressé, c'est important, c'est un roman jeunesse. C'est quand même adressé aux adolescents ou aux jeunes adultes. Et donc, c'est l'histoire d'une jeune fille de seize ans qui vit à Paris, et qui est d'origine martiniquaise, et qui tous les ans l'été va chez sa grand-mère en Martinique. À chaque fois, elle s'ennuie à mourir, parce que ça l'intéresse pas. Voilà encore ces questions de... parce que ça l'intéresse pas et qu'elle trouve qu'il y a rien de spécial. Et donc là, cette fois encore, elle part en Martinique pour un été. Sauf que là, en fait, elle rencontre des gens, des nouvelles personnes. Elle rencontre notamment une activiste qui dénonce des problèmes post-coloniaux en Martinique. Et là, il y a un élément fantastique. Puisqu'en fait, il se passe quelque chose et elle se retrouve projetée dans le passé au XVIIe siècle, au moment de l'esclavage, au moment de la traite. Et là, elle rencontre trois autres jeunes femmes, des femmes différentes, il y a une... une jeune femme de Bretagne, blanche donc, qui se retrouve là-bas à travailler pour une famille esclavagiste. Tu as une esclave. Tu as une locale, parce qu'en fait, ce qu'on sait très peu, c'est qu'en fait il y avait des populations qui vivaient avant, comme dans plein d'endroits du monde, qui vivaient là avant, qui ont été victimes d'un gros génocide. Et donc, ce qui est génial dans ce roman, c'est que l'intrigue est super, il y a un côté très jeune adulte bien sûr, mais il y a quelque chose de... c'est éducatif en fait. Enfin, tu lis ça et tu apprends plein de choses sur l'histoire, sur des choses dont personne parle en fait. Et c'est pour ça que, c'est ce que j'aime beaucoup dans les nouveaux romans qui sortent aujourd'hui, tu as enfin une diversité aussi chez les auteurs, les autrices. Et ça, c'est vraiment le genre de roman maintenant que j'aime bien lire, enfin que j'essaie de lire en tout cas. C'est ce que, en anglais, tu sais, ce qu'on appelle aussi Own Voice, c'est-à-dire que c'est les gens d'une minorité qui parlent de leur histoire ou de leur point de vue. Et donc là, par exemple, donc l'autrice est Martiniquaise et donc, voilà, c'est hyper intéressant de voir de son point de vue, parce qu'elle parle de problème actuels. Et elle parle de problème qui se sont passés dans le passé, mais qui évidemment ont un impact encore aujourd'hui.
Ce roman nous permet donc de réexplorer ce qui s'est passé dans le passé justement et de faire le lien avec le présent. Cet épisode se termine avec un dernier conseil de Detchen sur ce qui est important en matière d’apprentissage.
Je pense qu'en matière d'apprentissage, vraiment, ce qui est important, c'est de savoir ce qui nous intéresse, ce qui nous touche. Et en fait, c'est ça... c'est ce qu'il faut utiliser pour pouvoir apprendre. Parce qu'en fait, plus quelque chose nous intéresse, plus on est motivés. Et donc, en fait, c'est pareil en matière d'apprentissage des langues. Les langues, c'est hyper vaste. On peut parler de ce qu'on veut. Et justement, parler de ce qui nous intéresse, c'est comme ça, pour moi, qu'on peut progresser. Moi, c'est en tout cas la technique que j'ai toujours utilisée pour l'anglais, pour le mandarin, etc. Et je pense que c'est vraiment une technique qui marche, et vraiment s'écouter, essayer de trouver. Enfin, il y a aussi une démarche active de vraiment... d'aller vers ce qui nous intéresse. Aujourd'hui, ce qui est génial, c'est qu'il y a plein de choses sur Internet. Et du coup, voilà, essayer de trouver quelque chose qui nous intéresse et qui va nous pousser à vouloir nous améliorer. Et ouais, je pense que c'est surtout ça.
Non, c’est ça, complètement. C’est comment tu vas développer, tisser ce lien avec des personnes aussi avec qui tu vas pouvoir avoir des échanges. Donc, c’est exactement… ouais, c’est une bonne conclusion. Ben écoute, merci Detchen !
Avec grand plaisir, merci à toi !
Voilà ! C’est tout pour pour cette semaine. Merci encore à Detchen pour sa confiance. Comme toujours, je vous encourage à rejoindre la communauté du podcast sur Patreon. C’est un espace d’échange où je partage des ressources et les transcriptions des épisodes. Pour soutenir le podcast, vous pouvez en parler autour de vous et mettre une note sur Apple Podcasts et Spotify. Et puis, si vous avez écouté l’épisode jusqu’à la fin, n’hésitez pas à m’écrire pour partager vos réflexions avec moi. En attendant, je vous remercie d’avoir pris le temps de nous écouter, Detchen et moi, et je vous donne rendez-vous bientôt pour le prochain épisode. À très vite !